LES MEDIAS QUI DISENT OUI ET A QUI DIRE NON

Publié le par duNON





Les médias accusés de propagande pour le ouiPlus de 70 organisations ont signé un appel dénonçant "l'engagement massif des principaux médias en faveur du oui"L'Observatoire français des médias, à l'initiative de l'appel, annonce un rassemblement le 9 mai (journée de l'Europe) à 18h place de l'Europe à Paris, "pour exiger des médias un débat honnête et pluraliste".Des rassemblements sont aussi prévus en province pour dénoncer la "propagande médiatique" au sujet du référendum du 29 mai.Les signataires estiment "qu'au delà du clivage légitime oui/non, tous les électeurs sont concernés - journalistes, usagers des médias, syndicalistes, militants associatifs, citoyens - par cette véritable propagande médiatique".L'appel intitulé "Où est le débat" demande notamment: "Où est le débat quand entre le 1er janvier et le 31 mars 2005, toutes émissions confondues (JT, émissions politiques, émissions de divertissement), 71% des intervenants étaient favorables au oui et quand, dans les journaux télévisés, les défenseurs de la Constitution accaparaient 73% du temps de parole?"."Où est le débat quand le président de la République préfère organiser un show télévisé à la gloire du 'oui', que le CSA ne comptabilise pas dans le temps de parole du 'oui', où il est interrogé par des patrons d'entreprises privées aux salaires astronomiques (...) plutôt que par des journalistes professionnels", poursuit le texte. Les signataires dénoncent aussi le "climat d'hostilité" qui entoure, selon eux, les prises de parole des partisans du "non". Ils épingle aussi les journaux écrits dont la "quasi-totalité" des titres font, à leurs yeux, campagne pour le "oui" et qui se comporte ainsi "comme des acteurs politiques partisans".Parmi les signataires de l'appel, on compte Acrimed, Les Amis du Monde diplomatique, l'Association de la Gauche Républicaine, Attac France, Casseurs de pub, Démocratie et socialisme, La Fédération des Finances-CGT, la Fédération des Syndicats du Spectacle-CGT, L'Observatoire français des médias, Les Pieds dans le PAF, SUD Culture, SUD Energie, SUD Santé Sociaux, le Syndicat National des Journalistes, SNJ- CGT, Union des Familles Laïques de France.L'Observatoire français des médias est une émanation de l'Observatoire international des médias, lancé en janvier 2002 lors du Forum social de Porto Alegre.


PHILIPPE VAL EMMENE CHARLIE HEBDO SUR LA VOIE DU OUI



Le débat sur la Constitution européenne (dit "projet de Traité constitutionnel européen") est déchirant. Parce que des citoyens profondément attachés à l'idée européenne vont voter "non" au référendum du 29 mai 2005, la mort dans l'âme, comme lorsqu'on s'engueule avec un ami de longue date (de cinquante ans). Parce qu'à gauche, des amis se tournent soudain le dos.Philippe Val, directeur de la rédaction et de la publication de Charlie Hebdo, hebdomadaire dont l'engagement à gauche fait pas de doute, a décidé de convaincre ses lecteurs de voter oui. Rien d'anormal. Mais son argumentation laisse pantois, sombrant dans les travers qu'elle dénonce, voire dans la désinformation. Philippe Val entre en religion, une religion européenne qui, sous prétexte d'une Europe infaillible et presque révélée au bon peuple ignorant (ou long à la détente), pousse à accepter n'importe quoi.Dans le numéro du 6 avril, qualifiant le débat de "lamentable"*, Philippe Val, tel un Alexandre Adler de gauche, se propose de nous éclairer. "Tout le débat s'est fixé sur la troisième partie du traité, qui concerne la politique économique", constate-t-il. Une partie "trop volumineuse, parfois obscure" qui "ne devrait pas figurer dans une constitution normale, dont le but est de fixer, en quelques pages lisibles, un cadre et des objectifs fondamentaux pour le fonctionnement démocratique de l'Union" (à ce propos, lire Aux chiottes les constitution de 15000 pages) Mais, affirme Val, ceci "découle d'une cascade de traités" consécutifs aux élargissements successifs de l'Union européenne. "On peut comprendre quand même que la Constitution d'un continent soit plus complexe à élaborer que le règlement intérieur d'un pays."Mais alors, comment font les Etats-Unis, avec leur cinquante Etats, chacun doté d'un parlement et même d'une cour suprême, pour fonctionner avec une constitution de quelques pages ? Certes, le traité soumis à référendum organise les relations entre des pays entiers. Il n'en reste pas moins que la constitution ne devrait pas aborder, et fixer dans le marbre, des chapitres aussi essentiels que la politique économique."La plupart des problèmes polémiques contenus dans la troisième partie sont déjà posés depuis longtemps. Il fallait se réveiller avant. Et il faudra sans doute y revenir bientôt", explique la tête-chercheuse et pensante de Charlie Hebdo. Autrement dit, il faudrait faire comme si cette troisième partie n'existait pas. Pourquoi, alors, la soumettre au vote ? "Y revenir bientôt" ? Pas sûr que cette constitution en laisse la possibilité. Quant à "se réveiller avant", rappelons que le précédent référendum concernant l'Union européenne remonte à quinze ans, que le "oui" ne l'emporta alors que par la plus faible des marges, que ceux qui votent aujourd'hui ne sont plus les mêmes que ceux qui votaient alors, et que parmi les partisans du "non" figurent nombre de citoyens qui se sont sentis trompés par Maastricht, qu'ils ont approuvé comme on nous demande aujourd'hui d'approuver le traité constitutionnel parce que "c'est l'Europe et donc c'est bien"."Les quelques innovations de la troisième partie tendent plutôt à réglementer l'économie dans le sens de l'intérêt général -trop mollement, certes, est-ce la question?- qu'à la libéraliser dans le sens des intérêts particuliers", assure Philippe Val. Que l'intérêt général ne soit pas une priorité de la réglementation économique n'est pas la question? Mais alors pourquoi la construction européenne a-t-elle été principalement économique jusqu'à aujourd'hui?Tout comme certains font parler les morts à droite (De Gaulle aurait voté oui, De Gaulle aurait voté non), la gauche s'empare de la polémique sur la directive Bolkenstein. En résumé, les tenants du "non" affirment que la constitution favorisera des textes du même genre; les tenants du "oui", à l'image de Val, assurent que "si la Constitution était votée, une directive comme celle, fameuse, de Bolkenstein, ne pourrait plus passer en douce sur décision de la Commission de Bruxelles. En effet, la Constitution fait obligation de transmettre aux Parlements des Etats membres toutes les directives de la Commission."Parfaitement exact. Là où Val se met la plume dans l'oeil, c'est que cela n'aurait rien changé dans le cas de la directive Bolkenstein. En effet, les deux commissaires français, le socialiste Pascal Lamy et l'UMP Michel Barnier, l'ont approuvée. Et si cette directive avait été soumise au Parlement français, il l'aurait approuvée de même, l'UMP et la majorité du PS votant pour. Bref, sur ce point les partisans du "oui" comme du "non" sont hors sujet. La contestation de la directive Bolkenstein n'est pas venue d'une réaction institutionnelle ou parlementaire mais d'une alerte lancée par des associations, notamment Attac, avant d'atterrir, au bout de plusieurs mois de campagne, à la une des médias.Val a cependant raison quand il écrit que la nouvelle procédure de soumission des directives aux parlements nationaux interdira aux élus de "se cacher derrière la Commission de Bruxelles pour déplorer leur impuissance à agir." Mais il ajoute : "Et toute la partie trois (de la constitution) s'en trouve relativisée." On ne voit absolument pas en quoi et, d'ailleurs, l'éditorialiste ne prend pas la peine d'étayer son affirmation."Certes, la Constitution n'est pas assez socialiste, surtout si l'on entend par là qu'elle ne permet pas l'instauration d'une économie planifiée, comme celle qui, autrefois, a fait le succès de l'Albanie ou qui fait encore la réussite sans précédent de la Corée du Nord", ironise plus loin Philippe Val. On sait la place qu'occupe la caricature dans Charlie Hebdo. Jusqu'à présent, elle recourait au dessin. Passons."La Constitution n'empêche en aucun cas les gouvernements de gauche de faire une politique de gauche. Elle n'impose que de contenir les déficits publics, ce qui est la moindre des choses. Car lorsque les déficits s'envolent, ce sont les citoyens qui trinquent. Voir le cas récent de l'Argentine", poursuit le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo.Sauf que la Banque centrale européenne reste parfaitement indépendante, sans qu'aucune instance de l'Union puisse lui donner la moindre directive, et que sa priorité unique est la lutte contre l'inflation (et non contre le chômage ou la pauvreté). Ce qui, combiné au pacte de stabilité, rend par exemple impossible toute politique de relance. Roosevelt, après la crise de 1929, aux Etats-Unis, n'aurait jamais pu mener son New Deal dans le cadre des institutions européennes telles qu'on nous les propose, celles d'une "économie sociale de marché hautement compétitive".Philippe Val devrait demander à Oncle Bernard, alias l'économiste Bernard Maris, responsable du service économie-politique de Charlie-Hebdo, comment les Etats-Unis financent leur développement depuis un demi-siècle. Par le déficit. On peut arguer que cela leur reviendra un jour dans la gueule. Mais il leur suffirait de réduire sensiblement leurs dépenses militaires pour remonter la pente.Enfin, quel rapport entre les économies de l'Argentine et de l'Union européenne? Aucun. Sous couvert de bons sens (un sous est un sous; ne pas dépenser plus que ce que l'on gagne), Philippe Val se rallie à l'un des préceptes du fondamentalisme libéral, celui qu'imposa le FMI aux pays en voie de développement, à coups de des cures d'austérité désastreuses, sabrant en priorité services publics, dépenses sociales et d'éducation."Reprocher son manque de radicalité à la Constitution, c'est reprocher aux peuples de s'être trompés pendant cinquante ans. Elle ne fait que refléter leurs choix. Et dans ce cas, ce n'est pas la Constitution qu'il faut changer, c'est le peuple. Ce qui pose un petit problème démocratique", en conclut le boss de Charlie Hebdo. Mais alors, pourquoi voter, puisqu'il n'y a qu'une réponse possible? Est-il, dans l'absolu, interdit de changer d'avis? Sont-ce des élus du peuple qui ont rédigé la constitution? Une partie de ce peuple qui aurait entériné toutes les évolutions de l'Union européenne durant cinquante ans a envie de dire "non" cette fois-ci, et certains qui vont voter pour la première fois également. Il n'y a qu'en Albanie ou en Corée du Nord qu'on le leur reprocherait.On peut toutefois lui rappeler une chose, à ce peuple : les élections européennes ont toujours été les consultations où l'abstention a été la plus forte. Peut-être aurait-il fallu s'en inquiéter avant.Fin du premier service. Philippe Val remet le couvert dans Charlie Hebdo n°669, le 13 avril. Et croyant présenter le cristal de la réflexion sur un plateau de lumière, il se prend les pieds dans un tissu d'inanités et se casse la gueule. "Parmi les procédés du non de gauche, on en trouve un qui ne manque pas de souffle. Ils deviennent très chatouilleux lorsqu'on leur dit qu'ils votent comme de Villiers. Pourtant, de Villiers, comme eux, critique l'absence de contenu social de la Constitution. Ils devraient se réjouir, au contraire, d'avoir rallié à leur camp un ancien adversaire. Qu'ils soient en désaccord avec lui sur d'autres sujets, tels que la sexualité ou la religion, n'a pas d'importance, puisqu'il s'agit d'un débat sur l'Europe", assène Philippe Val.Fait-il semblant d'ignorer que de Villiers ne se raccroche au wagon social pour de pures raisons stratégiques ? De plus, voter uniquement en fonction de la position de ses adversaires (en l'occurence de Villiers, mais Val n'a pas osé ajouter Le Pen, sans doute conscient qu'il aurait poussé le bouchon trop loin) revient à positionner la campagne sur leurs arguments, ce qui est la meilleure méthode pour placer l'extrême droite au centre du débat."Lorsqu'on me dit que je vais voter comme Chirac, ou Bayrou, ou Sarkozy (...), je m'en fous, souligne Val. Je n'ai jamais adhéré à leur manière d'envisager l'exercice du pouvoir, ni aux idées qu'ils servent mais, en ce qui concerne la Constitution européenne, je n'ai aucune honte à voter la même chose qu'eux." Faut-il comprendre que les partisans du "non" adhèrent aux idées de de Villiers? Val croit-il que la constitution n'aborde aucun des sujets qui l'opposent d'habitude à la droite? Partage-t-il les idées de Nicolas Sarkozy, allié numéro un du Medef, en matière économique?Le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo expédie ensuite en un paragraphe une question fondamentale, celle des abandons de souveraineté. "Quand les partisans du non protestent qu'ils sont d'excellents Européens, ils jouent sur les mots. Qu'ils soient Européens, tout le monde en convient. Qu'ils adhèrent à des valeurs européennes, sans doute. mais, aujourd'hui, "Européen" a bel et bien deux sens. Un sens traditionnel : d'origine et de culture européennes. Un sens plus récent : favorable aux abandons de souveraineté inhérents à la construction européenne. Or, c'est le second sens qui est au coeur du débat."Philippe Val entend par là que les citoyens qui vont voter "non" ne veulent rien abandonner du pouvoir national aux instances européennes. Comment le sait-il? Dispose-t-il de sondages des Renseignements généraux? Non. Il affirme, sans autre preuve que sa conviction intime.Il se trompe également quand il affirme que "c'est le second sens qui est au coeur du débat." Car, justement, il devrait l'être mais... il ne l'est pas. Ce que beaucoup de tenants du "non" contestent, c'est justement que les abandons de souveraineté -nécessaires pour progresser dans la construction européenne- se font dans un sens libéral. Reprenons l'exemple de l'indépendance de la Banque centrale européenne. Si cette indépendance devait garantir qu'elle mène une politique monétaire visant à favoriser l'emploi, ce serait parfait. Mais son seul but est de lutter contre l'inflation. Et le projet de Constitution européenne reprend cette même logique. Ce ne sont pas les abandons de souveraineté qui posent problème : c'est de savoir dans quel sens ils vont être utilisés.Suit un argument qui tient de l'aveuglement. "L'autre procédé rhétorique des partisans du non consiste à dire qu'on les diabolise. En réalité, tout le monde leur court après (...) parce qu'ils sont plus rigolos que les partisans du oui, qui n'intéressent personne", certifie Philippe Val.Laissons la réponse à Bernard Langlois, dans Politis du 14 avril : "Si l'on en croit le comptage effectué sur trois mois (du 1er janvier au 31 mars) par l'équipe d'Arrêt sur Images, le nombre d'intervenants à la télévision sur le Traité constitutionnel européen a été, toutes émissions confondus, de 29% pour le non et de 71% pour le oui." Peut-être l'équipe d'Arrêt sur Images n'est-elle composée que de "rigolos" ?Retour ensuite sur ce que Philippe Val appelle une "alliance conjoncturelle" entre les souverainistes, qui voteront non "pour refuser l'inflation réglementaire instituée par «les technocrates de Bruxelles»", et la partie de la gauche qui votera non "parce qu'ils n'y a pas assez de règlements pour contraindre le libéralisme." Et d'en conclure : "Si la question du trop ou du pas assez de libéralisme était décisive pour le refus ou l'adoption du texte, il y aurait forcément un des deux camps qui voterait oui, et l'autre non."Val se méprend sur deux points. Les tenants du non de gauche ne demandent pas plus de règlements pour contraindre le libéralisme mais des règlements différents. Ensuite, la position des de Villiers, Pasqua, Le Pen ou de l'UMP Dupont-Aignan est déterminée par leur tendance souverainiste plutôt que par le débat économique."C'est facile, en additionnant les mécontents, d'arriver à 55% (de non), tranche Val, pour qui les partisans du non ne répondent pas "vraiment à la question posée, à savoir oui ou non à la Constitution européenne." Outre que les partisans du "oui" ne votent pas non plus tous en ce sens pour les mêmes raisons, il est stupéfiant de remarquer, et pas seulement chez Val, que voter "non" au référendum n'est pas considéré comme une réponse, puisque la seule possible est censée être le "oui".Concluant que ni les pro-"oui", ni les pro-"non" n'abordent le véritable débat, Philippe Val nous en désigne alors le véritable fond : "ouvrir le débat nécessite de briser le tabou de la nation, notion beaucoup plus sacrée qu'on ne pense dans l'esprit des citoyens." Sur ce point, le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo n'a pas tort et même parfaitement raison. En d'autres termes, la question de fond est de savoir si nous souhaitons une Europe fédérale ou pas.Or, le terme même de "fédéralisme" est totalement absent des discours. Toutefois, sous-entendre que les partisans du "non" sont tous des défenseurs de la nation dans son acception actuelle, c'est mélanger la gauche et les souverainistes (dont le poids électoral n'est pas vraiment comparable). De Villiers, Pasqua ou Le Pen veulent une "Europe des nations". Traduisez : chacun chez soi. Ils rejetteront systématiquement tout projet de constitution européenne qui propose plus d'intégration.Or, on ne peut reprocher à la gauche qui votera "non" le 29 mai de rejeter le fédéralisme. Toute la question est : par quels moyens y parvenir, et avec quelles priorités ? C'est précisément là que les divergences surgissent : une partie de la gauche, à l'image de Philippe Val ou François Hollande, pense que tous les moyens sont bons tant que l'on avance (ce qui évite de trop réfléchir); une autre partie estime qu'ils faut d'abord tracer la route avant de l'emprunter pour éviter la casse, notamment sociale.Siné, dans sa rubrique Siné sème sa zone du 13 avril, répond ainsi à Val : "Je ne suis pas du tout "contre la Constitution européenne" mais je suis violemment contre celle-là, ce qui est bien différent."Hélas, Val laisse pour le moment la question de la nation en suspend, nous promettant d'y revenir plus tard.Car il trouve plus urgent de reprocher aux partisans du "non" de "rassembler contre l'Europe tous les mécontentements", divers et avariés, chômage, pauvreté, racisme, etc., malheurs qui nous font oublier "à quel point la tragédie de la guerre dépasse toutes les souffrances imaginables." De là à dire que voter "non" au référendum ("Non à tout et n'importe quoi. Non à tout ce qui vient. Et si c'est une Constitution européenne, tant pis pour elle.") nous mène tout droit à la guerre, il y a un gouffre... que Val va s'empresser de franchir, en deux temps.Premier temps : "La fortune du non, ce sont ces sujets, précisément. L'état des choses leur donne raison. Et ils exposent l'état des choses. Exposer un état des choses donne de l'éloquence (...). On peut dire que les arguments du non, c'est ce qui est. C'est l'être." Bref, ceux qui votent non sont des insatisfaits incapables de se projeter dans l'avenir. Cependant que "le problème du oui, ce n'est pas l'être, c'est le devenir." Beau comme de l'antique..."Ce qui devrait nous rendre méfiant vis-à-vis des arguments du non, c'est leur pureté. Il est contre tout ce qui est mal : les OGM, la misère, la perte d'identité, le chômage, l'injustice, la disparition des valeurs, l'impérialisme américain, la dictature des marchés -toutes choses qui n'ont rien à voir, une fois de plus, avec l'adoption d'une Constitution européenne", ressasse Philippe Val. On pourrait se demander : mais alors, à quoi sert la Constitution? A servir un idéal qui laisser crever les citoyens dans la misère? Pourquoi cette constitution est-elle tant portée sur le libéralisme si "la dictature des marchés" y est étrangère? Bizarre raisonnement qui estime que le principal d'un texte n'a aucune importance, l'essentiel résidant dans le symbole.Car, deuxième temps, c'est bien de cela qu'il s'agit, d'après Val : "L'important, c'est d'avancer. Le oui est impur. Mais on n'envoie pas des individus à la mort pour un horizon. Le non est pur. Et l'idéal vaut bien que l'on sacrifie des vies humaines pour qu'il se réalise. Sauf qu'il ne se réalise jamais." Je croyais que les partisans du non (de gauche) voulaient justement donner un coup d'arrêt au libéralisme que cette constitution sanctifie pour éviter d'en ramasser les victimes. Je me trompais : au fond de moi, je suis un idéaliste sanguinaire..."Je préfère un horizon qui nous guide en nous avouant qu'il est inaccessible qu'un idéal qui nous fait croire qu'on peut l'atteindre si on y met le prix", conclut Val. Pour lui, il n'est plus la peine de s'opposer au libéralisme constitutionnalisé, c'est impossible, alors autant avancer avec lui...Pour terminer, deux remarques. Philippe Val, comme la plupart des partisans du "oui", ne base pas ses arguments sur le texte, ne le décrypte pas (alors que les pro-"non" ne cessent de le décortiquer); à la limite, il n'en a pas besoin. Acceptez, abandonnez votre libre arbitre, il n'y a pas d'autre voie possible pour être sauvé : il suffit d'y croire, comme à une religion, et ce n'est pas un hasard si Jacques Chirac, lors de sa première intervention télévisée, n'a cessé de répéter "N'ayez pas peur", adjuration rendue célèbre par le pape Jean-Paul II. C'est l'intention qui compte (comme, en religion, il faut croire sur Terre pour gagner ensuite le Paradis). Quant au résultat, on aura bien le temps de s'en préoccuper ensuite.Plus étonnant encore, Philippe Val, qui tente de convaincre des partisans du "non" de passer au "oui", ne cesse de dénigrer ceux qu'il se propose de faire basculer dans son camp : ce ne sont pas de vrais Européens, ce sont de simples mécontents qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ce sont des nostalgiques de Brejnev et de l'Albanie, ce sont des alliés de l'extrême droite (bref, des rouges-bruns qui s'ignorent), ils ne comprennent rien à l'économie (d'ailleurs l'économie n'est pas la question!) et, enfin, ce sont des fauteurs de guerre. Autant dire, des ennemis du peuple. Avec de tels arguments, Val fera sans doute passer plus d'électeurs du "oui" au "non" que l'inverse. Merci pour eux.Fabien Maréchal17 avril 2005* Les citations sont tirées de Charlie Hebdo n° 668, et 669 des 6 avril et 13 avril 2005.______________Post scriptum (25 avril) :Dans le numéro 670 de Charlie Hebdo (20 avril), Philippe Val poursuit sur le thème : les partisans du "non" sont des citoyens qui se trompent de colère. "Dans les dictatures, par exemple, la peur du dictateur est telle que la plupart des gens sont incapables d'accuser le coupable", professe Val. Une affirmation aussi péremptoire que non étayée mais qui prend tout son non-sens ensuite.Dénonçant la tendance des politiques à chercher des boucs émissaires et l'absence d'une éducation qui entraînerait à "penser contre les évidences majoritaires", Val procède à un amalgame révulsant. Il passe ainsi des fascistes "qui désignent toujours le Juif ou l'immigré comme cause de tous les malheurs" à d'autres qui "rechignent rarement au même type de bassesse efficace, en chargeant, pour prendre l'exemple qui nous intéresse, l'Europe de tous les maux. Ils tirent donc un bénéfice certain, eux aussi, du mécanisme psychologique le plus délétère qui soit pour la démocratie, comme l'Histoire l'a montré à tant de reprises, de Munich à Santiago du Chili."Et c'est ainsi que les partisans du "non", tous assimilés aux nationalistes, deviennent des complices du fascisme. Philippe Val a-t-il lu l'appel d'anciens résistants et déportés en faveur du "non à la constitution européenne ? "Epris de paix au plus profond de nous-mêmes, mobilisés depuis 1945 contre toutes les guerres de domination, nous rejetons ces «contre-valeurs» porteuses de l’injustice sociale et de l’écrasement des plus faibles qui firent le lit du fascisme et de la guerre. Nous dénonçons l’avènement d’un bloc militaire européen intégré et la hausse des dépenses d’armement explicitement inscrits dans le texte", écrivent-ils notamment. Mais Val sait sans doute mieux qu'eux ce qu'est la dictature...Val s'attaque ensuite au rassemblement de Guéret contre la fermeture des services publics qui "a aussitôt pris la forme d'une manifestation en faveur du non à l'Europe" (remarquons que Val n'écrit pas "du non à la Constitution européenne). Or, estime-t-il, c'est la nation, et la République, qui ont manqué à leurs devoirs de solidarité et d'aménagement du territoire. Et d'asséner : "Peut-on trouver une seule directive européenne qui préconise que l'on ferme des écoles et des hôpitaux dans la Creuse?", interroge benoîtement le directeur de la rédaction de Charlie-Hebdo. Pour lui, la réponse est d'évidence négative.Pourtant, ce sont biens les traités européens, que la Constitution reprend et approfondit, qui imposent de soumettre des secteurs relevant jusqu'alors des services publics à la concurrence, donc aux lois de la rentabilité. L'Europe libérale n'est certainement pas responsable de la fermeture des perceptions dans la Creuse mais l'est en partie de la fermeture de centaines de bureaux de poste, par exemple. Et de la mise en concurrence, donc de la privatisation de France Télécom, d'EDF et GDF, de la SNCF (le désastreux exemple du passage au privé des chemins de fer anglais n'ayant pas suffi).Avec une subtilité rare, Philippe Val enchaîne : "Au lieu de s'en prendre aux manquements de la République, qui est sacrée, on s'en prend à l'Europe, parce qu'au moins, elle, on n'en a rien à foutre (...). Il est difficile de concevoir que cette nation sacrée, cette patrie, cette république, sont peut-être à bout de souffle. Que l'évolution du monde les ont rendues inadéquates à leur devoir de garantir des conditions de vie décentes aux citoyens." Ou comment, à partir d'une idée intéressante -l'évolution du concept de nation dans le processus d'intégration européenne- mélanger les torchons et les serviettes.La suffisante leçon de journalisme qui suit (la presse perd des lecteurs faute d'avoir "su créer, en même temps que se créait l'Europe, le discours pour raconter cette création") précède une conclusion à la limite du mépris : "Les citoyens ont vécu dans la démocratie d'une Europe en construction, en y jouissant à la fois de la paix et de la liberté, en trouvant ça normal, naturel, et aussi ennuyeux que l'éternité." Heureusement que Val est là pour leur dire le Vrai. Et qu'importe si cela n'a qu'un lointain rapport, non pas avec une constitution européenne (souhaitable) mais avec cette constitution qu'on nous soumet. Car l'essentiel est ailleurs : voter par principe, la foi remplaçant la réflexion. Le projet de traité pondu par les "constituants" sous la houlette par Valery Giscard d'Estaing rappelle dès lors une certaine fumée blanche : voici votre guide, que ceux qui savent ont choisi pour vous. Priez pour lui.F.M.


Lire aussi l'excellente lettre ouverte d'un abonné à Charlie Hebdo


http://fabienma.club.fr/annu-art/articles/europe-val.htm

Publié dans Actualité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article